Monter un fonds de jeux de rôle à la bibliothèque

Bienvenue dans cet article, où nous raconterons comment en l’espace de quelques mois j’ai réalisé un rêve de gosse, fait plus de bulles en plastifiant des documents que dans tout le reste de ma carrière, et fait l’expérience du « les lecteurs sont vraiment des gens bien, et encore plus quand ils se mobilisent tous ensemble pour leur bibliothèque ».

Bref : nous allons vous raconter comment nous avons mis en place le fonds jeu de rôle de la bibliothèque, une histoire pleine d’intrigues, de mauvaises blagues et de solidarité. Et aussi d’allusion à un objet étrange, le D20 :

Le D20, ou dés à 20 faces (ou icosaèdre, pour les plus radicaux d’entre nous), est un dé très fréquemment utilisé dans les jeux de rôle. Objet de culte, bien des rôlistes lui doivent leurs meilleurs moments, mais aussi les pires

La bibliothèque avait depuis longtemps déjà une pratique du jeu, qu’il s’agisse de jeux de société ou de jeux vidéo. La mise en place d’un fonds de jeu de rôle présentait donc un double avantage : à la fois celui d’une cohérence globale avec notre envie de proposer du jeu, mais aussi la possibilité à terme de créer des communautés de joueurs qui utiliseraient les espaces de la bibliothèque, comme un lieu de rencontre possible, dans la logique du troisième lieu.

Enfin, c’était aussi pour le plaisir personnel de voir qu’après des années de lynchage systématique de la pratique – on pense à toi, cher Chick, à toi, Info-Sectes, mais aussi à vous, reportages mélangeant pratique du jeu de rôle, satanisme et suicide, dans les années 90 – le jeu de rôle soit considéré maintenant comme assez « légitime » pour faire partie des rayonnages d’une bibliothèque.

Le jeu de rôle, cette chose innommable dont la seule raison d’être est de pousser vos enfants au cannibalisme ou au suicide, voire aux deux en même temps.

C’est donc plein d’envie de lancer du D20 que se lança la première des quêtes : essayer de trouver des usagers et des copains/voisins pour lancer une dynamique autour du rôlisme dans la bibliothèque. Premier coup de chance, des rencontres avec des éditeurs passionnés – et passionnants – en la personne de David Meulemans – Éditeur aux forges de Vulcain – et Julien Delorme – Éditeur à l’Oeil d’or. Ces personnes n’ayant pas seulement le bon goût de faire d’excellents livres, ils fréquentent aussi d’excellents auteurs (il y a probablement un lien logique, à la réflexion), dont certains de jeu de rôle.

Après d’intenses négociation – on a offert des Pringles – la bibliothèque lançait donc des soirées jeux de rôle en présence des-dit auteurs, et ce furent toutes de grand succès, avec entre 40 et 80 personnes à chaque fois, rassemblant aussi bien des passionnés que des néophytes. Ceci nous rassurant au passage sur le fait que nous n’étions pas seulement quelques bibliothécaires passionnés, mais bien dans une dynamique positive autour du jeu de rôle, avec une forte demande.

Vision d’angoisse du bibliothécaire avant la première soirée jeux de rôle, se demandant s’il s’apprête à vivre un très très grand moment de solitude. (Oui, il était strictement interdit par la charte du blog de faire un post sur le jeu de rôle sans au moins une référence au seigneur des anneaux.)

En parallèle, la bibliothèque mettait en place un rendez-vous jeu de rôle tous les premiers mercredis du mois, animé par un usager, lui-même très grand connaisseur en la matière. Ces rendez-vous furent en majorité des initiations au loisir pour des enfants entre 8 et 14 ans, et furent aussi l’occasion pour nous de voir qu’avec un maître du jeu compétent, il était tout à fait possible de faire une animation de jeux de rôle de moins de deux heures, dont les participants ressortaient systématiquement ravis.

Restait donc à franchir la dernière étape : la constitution d’un fonds propre. Et c’est là que les choses se corsent, car si le jeu de rôle est un loisir populaire, trouver des références disponibles à l’achat sur les réseaux de distribution classiques des bibliothèques relève de la gageure. La chose étant d’autant plus complexe que beaucoup de « petits jeux » ne disposent pas nécessairement d’un ISBN ou même d’un dépôt légal, rendant leurs acquisitions d’autant plus difficiles. (On salue d’ailleurs au passage les collègues qui ont réussi à braver ces difficultés pour monter quand même un fonds via des marchés publics, ce qui relève vraiment de l’héroïsme)

La chose semblait donc très mal engagée jusqu’à ce que le sort s’en mêle. A l’occasion d’une intervention auprès du Gamelier, nous évoquions justement ces difficultés liées à l’acquisition des jeux de rôle. La communauté des rôlistes étant faite de gens formidables, c’est donc dès le lendemain une page Facebook qui se crée, pilotée par Julien Delorme, pour mettre en place un don à la bibliothèque.

Les contributeurs sont nombreux et enthousiastes, et nous nous retrouvons très rapidement à la bibliothèque avec ceci sur mon bureau :

Toute ressemblance avec votre rêve d’enfance est une pure coïncidence, et serait, en plus, un plagiat de ceux de l’auteur de cet article.

Bon… Pour être tout à fait honnête, il faut aussi remercier le service catalogage de la ville de Paris, qui a eu l’occasion d’affronter les douze enfers des livres sans dépôt légal, ISBN, sens de lecture, prix, code-barre et autres joyeusetés au demeurant utiles quand il s’agit de faire le travail proprement, et sans qui j’aurais probablement contemplé cette pile pendant des mois, un peu de bave aux lèvres pendant que mon cerveau fondait sous des tutoriels d’Unimarc.

Quelques interrogations existentielles plus tard telles que « ce livre se compose de 49 livrets détachables, de 7 jeux à découper et de 23 feuilles de personnages volantes, comment je fais-au secours-pitié », nous étions fin prêts à mettre les jeux de rôle en accès libre…

Et c’est donc ainsi que la bibliothèque put mettre en place son propre fonds de jeux de rôle, grâce à l’implication d’usagers et de rôlistes passionnés.

Ce billet est donc l’occasion de remercier encore une fois tous ceux sans qui ceci n’aurait pas été possible : Julien Delorme, David Meulemans et les nombreux auteurs venus présenter leurs jeux à la bibliothèque (avec une pensée particulière pour Viven Féasson dont j’ai eu la chance de connaître l’arbitrage en personne !), le forum Casusno, les rôlistes qui nous ont fait don de leurs livres, Stéphane, notre usager-maître du jeu, et enfin les collègues qui ont dû subir mon enthousiasme parfois peut-être un peu trop débordant quand à la mise en place du fonds.

Pour finir, quelques idées pour celui ou celle qui voudra mettre en place son propre fonds de jeux de rôle :

  • Les rôlistes sont partout, et ont la chouette habitude d’être très souvent sympathiques, curieux de faire découvrir leur loisir et ravis de l’opportunité qui pourrait leur être offerte de le pratiquer en bibliothèque.
  • Si les circuits de distribution classiques ne sont pas forcément les plus adaptés à l’obtention de jeux de rôle, de nombreuses boutiques de jeux « traditionnelles » disposent maintenant de jeux de rôle à la vente, et même en l’absence de marché avec celle-ci, on peut aisément commencer à jouer simplement avec un stylo, quelques règles glanées sur internet et des dés. (On pense par exemple à ça, ça, ou même pour quoi pas des livres dont vous êtes le héros)
  • De nombreuses communautés et associations structurées existent déjà autour du jeu de rôle, et peuvent être d’excellents moyens de lancer la pratique dans sa structure, telle que la ligue ludique, le forum CasusNo, le forum Opale, la FFJDR, et bien d’autres…

Bref : faire du jeu de rôle, c’est non seulement très chouette, mais c’est surtout pas si compliqué à mettre en place, et extrêmement gratifiant quand ça marche.

 

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