Biblioremix, les sujets qui fâchent

Cet article fait suite au premier épisode sur le Biblioremix : Changer le monde en commençant par ma bibliothèque, dont je vous conseille la lecture préalable afin de ne pas vous demander pourquoi je m’énerve tout seul contre des choses obscures.

Je vais parler ici des sujets qui fâchent, mais qui sous tendent pourtant l’idée du Biblioremix. Concrètement, se poser la question de faire un Biblioremix, c’est se demander ce qu’il apporte exactement. De fait, une des questions les plus fréquentes que l’on me pose avant l’événement est toujours la même :

« Okay, c’est bien beau tout ça, mais pourquoi je ferais un Biblioremix plutôt qu’une réunion d’équipe ou l’on serait gentil entre nous, on ferait des blagues et on inviterait même un usager ? »

Une note préalable : Je ne vais ici par parler directement du Biblioremix mais des raisons qui font qu’il est nécessaire, en pointant du doigt certains dysfonctionnements habituels de nos modes de gouvernance et de partage d’information. En somme, si vous voulez juste savoir comment Remixer, libre à vous d’attendre le 3ème article de cette série !

Un dispositif de répartition de la parole

Si je veux produire de l’innovation en incluant mes usagers, pourquoi un Biblioremix plutôt qu’une réunion participative ?

Déjà, parce qu’une réunion est généralement non pas un lieu de créativité mais de rapport de force. Il peut être « bienveillant », il peut être tacite ou non, mais il est en tout cas clair que dans une réunion, tout le monde n’aura pas le même accès à la parole, quelles qu’en soient les raisons, qu’il s’agisse de question de légitimité ou de statut, d’aisance à l’oral, de peur d’être incompris, etc.

Il est évident que dans une réunion, celui qui a le plus accès à la parole a, de fait, le plus de pouvoir concret sur les idées qui seront énoncées, et il est important de noter que cet exercice du pouvoir est souvent arbitraire : notre collègue qui prend toute la place et qui se sent légitime tout le temps pour prendre la parole sera tout aussi problématique que le cliché de l’encadrant qui déciderait de ne jamais écouter ses subordonnés. Il est à noter que toute la bonne volonté du monde de ce point de vue  ne suffira jamais à évacuer tous les biais sociaux (de genre, par exemple) qui encadrent la capacité à prendre la parole et à verbaliser ses opinions, et qu’il est nécessaire de créer et de s’imposer ensemble des outils.

« Bonjour, à l’ordre du jour, je vous propose un débat sur l’ajout de sucre dans nos cafés »

Bref, une première différence est déjà que le Biblioremix est un dispositif qui est entièrement pensé pour répartir la parole, grâce à des outils tels que les Brainstorm ainsi que des méthodologies d’animation en petits groupes.

Organiser la créativité

Ensuite, il est difficile de croire qu’on peut être créatif au débotté, en réunion et sur commande. La créativité est souvent fantasmée comme une épiphanie qui vient aux esprits éclairés et sur laquelle nous n’aurions aucun contrôle.

C’est archi-faux. La créativité est un processus et tous les artistes mettent en place des habitudes, des patterns, des dispositifs physiques ou mentaux pour se calibrer, afin d’être créatif. Réussir à être créatif en réunion, avec tous les rapports de force cités ci-dessus, et en ayant de manière générale l’habitude de partir systématiquement de nos contraintes, est extrêmement difficile.

Le Biblioremix ici apporte une méthode centrée sur des alternances rythmées entre phase d’exploration ou l’on est le plus libre et créatif possible, puis des phases de définition ou nous « taillons » dans l’énorme masse ambitieuse d’idées que nous avons imaginées afin d’aller vers le réel. Cette méthodologie de s’obliger à ne pas se poser la question du comment avant celle du « Qu’est-ce qu’on aimerait vraiment ? » est un excellent outil pour être créatif.

Évacuer le débat d’idées

Aussi, un des problèmes habituels de nos réunions d’équipe, c’est notre goût pour le débat d’idées. Ce dernier pose deux problèmes spécifiques :

  • La conviction que la « bonne solution » se trouverait à mi-chemin entre les différentes opinions en présence, et qui conduit en général à trouver une solution qui ne satisfait personne, en plus d’être généralement inefficace.
  • Le besoin de convaincre, quitte à transformer la recherche d’une solution en un jeu argumentatif ou l’enjeu principal devient simplement d’avoir raison.

Est-ce que je veux dire que le débat ne sert à rien ? Non. Mais voyons ensemble qu’est-ce qui fait qu’un débat peut être pertinent :

  • Tous les acteurs du débat sont aux mêmes niveaux d’informations sur le sujet, ont pu préparer leurs interventions et amènent des arguments.
  • Le cadre du débat est safe et de confiance, avec des règles explicites. Les gens qui débattent ont pour enjeu premier de convaincre ou d’être convaincu et non pas d’éviter une humiliation publique devant leurs collègues.
  • Le débat est cadré. L’objet de la discussion est clair et son champ aussi – On sait de quoi on peut parler et de quoi on ne peut pas parler, le temps de parole est équitablement réparti et on évite les biais de parole.

En somme, le Biblioremix propose des outils visant à trouver des consensus, en évitant le débat, et en mettant l’accent non pas sur qui a la meilleure idée, mais sur les idées innovantes autour desquelles on peut fédérer le plus, l’enjeu pour un projet en bibliothèque n’étant jamais d’être le meilleur (meilleur en quoi ? par rapport à quoi ?) mais d’être capable de réunir l’équipe autour de lui tout en répondant à un besoin concret et réel des usagers. Nous reviendrons dessus plus en détail dans les articles explorant le comment, mais si vous voulez déjà vous renseigner à ce sujet, la sociocratie – et le consensus sociocratique – est un excellent outil pour éviter tous ces fameux débats stériles.

Inclure vraiment les usagers

Nous avons un réel déficit en bibliothèque de retour concret de nos usagers. Bien que l’UX commence à s’installer dans notre pratique du métier, nos outils habituels pour questionner leurs pratiques de la bibliothèque restent souvent pauvres. Questionnaire de satisfaction réalisé sous Word et avec des axes peu définis ou trop généralistes, questionnement informel à l’accueil, sympathique mais qui dépend totalement du degré de confiance avec l’usager, etc. 

Le participatif est ici souvent cité comme un moyen utile de recueillir la parole de l’usager. Cependant, même si vous décidiez d’inviter au débotté un usager à participer à une de vos réunions de projet, il s’agit d’un des principaux biais de l’injonction participative que de penser qu’une personne sans information ni statut peut participer avec le même engagement et de manière équivalente à un collègue lors d’une réunion.

Photo prise sur le vif d’un usager recruté au hasard et que l’on a invité en réunion générale à l’arrache.

Le Biblioremix apporte ici une méthodologie permettant réellement d’inclure des non-bibliothécaires, grâce à des outils qui centrent le déroulement de la journée non pas sur des éléments logistiques ou des questions de statut – qui fait quoi et comment ? – mais sur des projets qu’ils souhaiteraient voir aboutir à la bibliothèque, et en valorisant leur usage de la bibliothèque. Il s’agit réellement de leur tendre un mégaphone et de se contraindre, grâce à des outils de répartition de la parole, à les écouter vraiment, quitte à entendre de réelles critiques de nos modes de fonctionnement.

A noter qu’il ne s’agit pas de dire que les réunions générales seraient toujours inutiles, simplement que passer par ce genre de réunions pour essayer d’être créatif et innovant est généralement une perte de temps.

Au passage, si vous n’avez pas le temps ou l’envie d’organiser un Biblioremix, beaucoup des critiques ci-dessus restent valables, et faire rentrer dans ses habitudes de travail certains des outils évoqués – Brainstorm, poser l’idéal avant la contrainte, répartir la parole, etc – est toujours bénéfique.

Voilà pour cette première partie, en deux articles, sur les bases théoriques et les raisons d’être du Biblioremix. Pour le réel mode opératoire, je vous retrouve dans le prochain article « Le comment ? – Première partie : l’exploration »

Une réflexion sur “Biblioremix, les sujets qui fâchent

Laisser un commentaire