Créer du lien : un jeu d’enfant ?

Ou pourquoi jouer en bibliothèque

Connaissez-vous le principe de troisième lieu ? Si vous êtes sociologue, bibliothécaire, que vous montez un super projet de bar, ou que vous lisez régulièrement ce blog, la notion vous est sans doute familière. Pour les autres, une définition s’impose. Pour faire simple : le premier lieu serait le foyer, le deuxième le travail et le troisième représente un lieu de sociabilisation. Pour cela il doit répondre à certains critères :

Un espace neutre et vivant

Un lieu d’habitude

Un second chez soi

Un lieu où l’on nivelle les différences entre les gens (horizontalité des rapports)

Un lieu créateur de communauté

Un lieu où la conversation est prioritaire (propice au débat)

Un lieu accessible, accommodant et simple

Un lieu qui procure une expérience ludique.

Au départ ce lieu correspondait au pub/bar/café (le débit de boisson de votre choix). Mais Mathilde Servet, dans son excellent mémoire, suggère que les bibliothèques s’emparent de cette notion, en tant qu’espace public gratuit. Et cela correspond à notre vision d’un endroit où l’on se sent bien et où l’on rencontre des gens qu’on ne croiserait pas nécessairement ailleurs, un lieu de vie partagé dans la cité, où créer du lien avec ses voisins et voisines, une manière de s’impliquer dans la vie du quartier. Alors pour atteindre cet objectif, chaque collègue a ses outils de prédilection. En ce qui me concerne, ce sont les jeux.

D’abord parce que rares sont les personnes qui ne jouent pas du tout, jamais, d’aucune manière que ce soit : le marché des jeux de société, des jouets et des jeux vidéo connaît depuis des années un succès qui ne fait que croître. Les pratiques ludiques sont si riches et multiples (du tarot à Candy crush, de Donjons & Dragons au bons vieux mots croisés, en passant par les escape game ou les jeux toutes catégories primés à Cannes) que tout le monde peut y trouver son compte. De plus, si l’on note des différences de pratique en fonction de l’âge ou des habitudes culturelles, les rares études sur le sujet tendent à montrer que le caractère intergénérationnel et interculturel des jeux en font un atout de choix lorsque l’on se propose de réunir des personnes aussi nombreuses que dissemblables. Et ça c’est chouette.

Ensuite parce que le jeu est un médium qui facilite la rencontre et la communication. Ce qu’il se passe dans la partie permet un premier niveau d’échanges (« j’ai mangé ta dame donc tu pioches une carte, bonne pioche touché coulé ») qui facilite d’autres interactions autour de la table. Celles-ci peuvent s’appuyer sur les actions du jeu tout en les dépassant (pour plus d’info sur cette distinction, je vous renvoie vers l’excellent article de Jean-Emmanuel Barbier).

Disons que LA PLUPART DU TEMPS, ça facilite la communication

Le jeu en bibliothèque nous permet différentes choses :

Mieux connaître nos publics : ces moments privilégiés nous permettent de passer un moment plus long avec un même groupe de personnes, souvent d’échanger prénoms et plaisanteries, de poser les bases d’une ambiance détendue, d’une relation de confiance. Bien sûr, cela permet aussi aux gens de se rencontrer : un simple puzzle posé dans un coin de la bibliothèque peut-être le début d’une belle amitié entre deux inconnu·e·s.

Faciliter la communication : Lorsque l’on sort de l’anonymat d’un statut (bibliothécaire, usager, ado, inconnus etc.), qu’on passe un moment agréable avec des gens, qu’on commence à mieux les connaître, il est plus simple de voir la personne derrière, avec ses forces et ses failles. De mieux gérer les unes et les autres et de désamorcer des conflits.

Faciliter la participation : Pour avoir envie de participer à la vie d’un lieu, il faut se sentir libre de faire des propositions, et avoir un·e interlocuteur·ice. Quelqu’un qu’on a battu à Fifa ou au Uno fait très bien l’affaire. Du côté des bibliothécaires, il est plus facile de faire confiance à un partenaire de quête rôlistique avec qui on a déjoué les pièges de l’infâme Cthulhu.

Fédérer des communautés autour de la bibliothèque : cela permet en effet aux personnes qui reviennent régulièrement de s’approprier le lieu, de se rencontrer autour d’une activité commune et de se sentir appartenir à un groupe (celui des gens coooool).

Souder l’équipe : Rien ne vaut une réunion baby-foot impromptue. Ou un petit tarot à midi. D’abord parce que ce qui s’applique aux usagers s’applique également à nous : on ne peut pas espérer fournir de chouettes espaces et services, une ambiance bienveillante, si on ne ne créée pas ces conditions dans l’équipe. Ensuite parce que c’est au cours de ces temps informels qu’on trouve nos meilleures idées. D’abord sous forme de blagues (« Imagine que… Hahaha ! ») qui lentement prennent forme (« Hééé… Mais ouais ! Pourquoi pas en fait ? »).

Evidemment, il n’y a pas de mauvais perdants dans l’équipe…

Les vertus de ces objets culturels sont nombreuses. Jeux de société, jeux de rôle ou jeux vidéo, peu importe le support : ce qui se joue dans l’interaction ludique demeure.

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