Les yeux rouges, de Myriam Leroy.
« Chaton Malin avait posté sur sa page Facebook une capture d’écran d’un statut de Denis, qui associait mon nom aux termes journalope et gauchiasse. Chaton Malin avait assorti sa publication d’un GIF Michael Jackson qui mange du pop-corn. »
C’est un des livres-choc de la rentrée littéraire : ce texte dérangeant, construit comme une spirale qui va aspirer progressivement sa narratrice dans les méandres du harcèlement numérique, et ses lecteurs/lectrices vers un sentiment de malaise toujours plus grand, est habilement construit, et raconté de manière originale.

En effet, au lieu du « je », ou d’une narration avec une alternance de points de vue, la narratrice va utiliser ici une forme très passive de narration, où elle va se contenter de reprendre tels quels les mots, injonctions, conseils de son entourage, comme pour mieux accentuer l’aspect insidieux et souterrain de cette agression d’une violence psychologique aussi impalpable que réelle.
« Baptiste connaissait Denis, enfin pas dans la vie mais il consultait de temps en temps sa page Denis la Menace, c’était pas si mal en fait. C’était con qu’on se cherche des poux comme ça publiquement. Oui non, OK, qu’IL me cherche des poux comme ça publiquement, mais enfin ça n’était sans doute pas parti de nulle part, il devait bien y avoir un contentieux entre nous, un passif, il ne pouvait admettre qu’un mec, même s’il était pas tout juste dans sa tête, passe ses journées à m’insulter sans qu’il ne se soit rien passé, il ne disait pas forcément que j’avais provoqué l’affaire, juste qu’il avait dû y avoir quelque chose, un big bang originel, il y avait toujours un big bang originel, même un truc mineur, pas nécessairement une ouverture d’hostilités de ma part mais un truc, oui un truc qui avait dû lui aller très loin, le remuer très profond pour qu’il nourrisse une telle obsession. »
La narratrice, journaliste qui bénéficie d’une certaine notoriété, va donc faire le récit de son calvaire grandissant face à un admirateur embarrassant qui de fil en aiguille, va se transformer en cyber-harceleur, utilisant les réseaux sociaux comme un moyen efficace et malsain pour amplifier son acharnement.
Les réactions de son entourage créent un effet saisissant comme autant de marqueurs du mal-être et du profond sentiment de vertige ressenti par l’héroïne face à cet homme qui sape minutieusement sa vie professionnelle, sa vie de couple, son mental et bientôt, sa santé.

J’ai aimé ce titre car il aborde un problème de société qui a explosé depuis quelques années : le harcèlement numérique, et ses conséquences bien réelles sur la vie des victimes, lesquelles doivent souvent en plus, faire face à un entourage démuni, qui minimise les faits ou pire, qui peut tenir des propos problématiques en culpabilisant les concerné.e.s. Les qualités de ce roman tiennent autant du sujet -bien- traité, qu’à l’écriture qui résonne profondément en lien avec les mécanismes du harcèlement, insidieux, par petites touches, posts FB et Twitter égrenés par-ci par-là. A lire sans tarder !
Petit frère, d’Alexandre Seurat.

« La Maladroite » d’Alexandre Seurat m’avait beaucoup marquée, ce roman était construit comme un coup de canif : vif, tranchant, traitant avec intelligence du sujet de la maltraitance infantile.
J’étais donc impatiente de commencer son dernier titre, « Petit frère », qui traite de plusieurs sujets difficiles, et plus particulièrement du deuil, et de l’impuissance d’une famille à aider l’un des siens à se sortir d’une addiction, d’un mal de vivre profondément enraciné.

Dès les premières pages, j’ai eu bien du mal à retrouver la patte de l’auteur : l’écriture est ici très différente de mon souvenir pour la « Maladroite », et ne m’a pas vraiment convaincue. L’image de ce « petit frère » perdu, qui s’efface progressivement pour laisser la place à un être fantomatique, manque justement de substance et d’émotions, et laisse les lecteurs/lectrices en périphérie du sujet, à force de l’envelopper de brumes et d’images elliptiques. Rien à faire pour moi, impossible de m’attacher aux personnages, impossible de comprendre les mécanismes de cette famille où tout le monde commet des erreurs, sans doute, mais où sont l’amour, l’attachement ? Malgré les tentatives du narrateur de comprendre son frère, de lui apporter son soutien, tout est si abstrait que je suis restée en-dehors de l’œuvre, faute d’y avoir trouvé de la chair, de la matière, du sentiment…
Les guerres intérieures, de Valérie Tong Cuong.

« Comédien de seconde zone, Pax Monnier n’espère plus connaître le succès. Un jour, son agent le contacte et lui apprend qu’un célèbre réalisateur américain veut le rencontrer sans délai. Alors qu’il se rend chez lui pour prendre une veste, des bruits de lutte à l’étage supérieur l’interpellent mais il passe outre. A son retour, il apprend qu’un étudiant, Alexis Winckler, a été sauvagement agressé.«
J’ai aimé suivre ce roman qui interroge le statut du témoin : quels signaux doivent nous alerter sur une situation potentiellement dangereuse, quand intervenir, faut-il intervenir ?
Le roman débute avec cette interrogation : comment assumer les conséquences d’un choix, ou plutôt d’un « non-choix », quand la vie vous place face à des décisions qui sur le moment, ne semblaient pas pouvoir avoir des conséquences tragiques ? Comment assumer ces quelques secondes de lâcheté, ces quelques secondes où la raison vous dit une chose, et l’intuition une autre ? Comment trouver les bons mots, la bonne attitude, comment obtenir le pardon face à l’irrécupérable ?

Valérie Tong Cuong explore le thème de la culpabilité avec beaucoup de subtilité, ses personnages ont ceci d’intéressant qu’ils ne sont ni tout blancs ni tout noirs, et que les zones grises sont toujours une excellente trame pour interroger les petits (ou grands) drames du quotidien. A découvrir !